Gastromot 1


Saison 9 - 2011-2012 - n° 1 - 20 septembre 2011
À la cuisine des mots pour un menu “gastromot”

Chauffe gourmande (massage et auto-détente)

Le lieu pour situer votre cuisine des mots
Décrivez sous forme de liste l’endroit où vous implantez votre cuisine-restau des mots.
Les lignes de la liste comprennent de 1 à 7 mots sans verbe.

La cuisine
Décrivez en 6 vers de 12 pieds le coin où tout se transforme, s’alchimise, se mélange, s’assemble, se disperse, s’épice et se concentre en plats de mots…. À la bonne vôtre.

L’appellation
Donnez un nom à votre terrain de conte, de goût et de saveur…
(à tout moment durant la soirée vous pourrez déménager votre cuisine des mots puis revenir, changer son nom… une autre liste pourra ainsi naître ou pas)

Le menu
Établir un menu comprenant une entrée + un plat + un dessert.
Prenez trois langues de papiers chacun et notez l’intitulé de l’entrée, du plat et du dessert sur chacune d’elles.
Les intitulés devront comprendre au moins un mot du vocabulaire de la cuisine et un mot du vocabulaire de la littérature.
N’allez pas plus loin que la dénomination du menu (ne commencez pas à cuisiner ou à déguster).

Le vin
Inventez ou choisissez un cépage ou un vin ou un nom de domaine pour accompagner votre menu. Notez-le sur une 4ème langue de papier.
Une fois toutes les languettes rassemblées, un nouveau menu est redistribué à chacun.
C’est parti, racontez, poétisez, contez, retracez, narrez, gourmandez (!)… bref faites-nous savourez la confection et/ou la dégustation de ce menu. 
N’hésitez pas à placer cet espace-temps dans un contexte narratif autre. 
Cuisinez vos mots, laissez mijoter et élaborer le texte du menu de ce soir jusqu’à plus soif (50 mn).

Quelques textes.

Alfred
La cuisine des mots
Verres à pied en cristal, souvenirs de Bohème
Porcelaines signées, argenterie qui luit
La langouste est servie avec un peu de crème
Son alléchant fumet ouvre les appétits
Un simple grill suffit pour ce repas de reine
Préparé les pieds nus à l’ombre d’une carène

Mon menu (un mot du vocabulaire de cuisine + un mot du vocabulaire de littérature) :
Entrée : Déclinaison d’encornets farcis
Plat : Langouste au Goncourt bouillon
Dessert : Mille-feuilles coco sur palmes académiques
Arrosé de :  Château Sans Pagne Rosé

Mon tirage :
Entrée : Souvenirs en salade balsamique
Plat : Langouste au Goncourt bouillon
Dessert : Mille-feuilles coco sur palmes académiques
Arrosé de : Tord-boyaux

Le souvenir fulgurant m’avait tordu les tripes, m’avait laissé hagard comme à la fin d’un round et en vain j’attendais le soigneur qui jetterait l’éponge pour clore ce combat cent fois perdu déjà. Nul baume, nul onguent n’atténue ma souffrance lorsque j’encaisse par mégarde l'uppercut des images, les swing des saveurs fortes, le direct des chansons qui réveillent la mémoire du paradis perdu.
Écrasé de douleur, terré dans mon deux pièces, je revêts en tremblant le masque salvateur qui en couvrant mes yeux me coupe de ce monde insipide et puant. Parfois j’en suis réduit à boucher mes oreilles pour fuir les sirènes hurlantes et les avertisseurs. Enfin je peux voguer vers les plages accueillantes, l’air marin, la douceur des vagues entêtantes.
Souvent j’en suis réduit à maudire le sort qui m’a offert ce rêve et qui me l’a repris. Jamais je n’aurais dû quitter mon univers médiocre auquel comme tant d’autres je m’étais habitué. J’aurais continué à manger du flétan, du saumon d’élevage, à lire des magazines et des romans de gare. Comment y revenir après avoir goûté la langouste grillée qui vient d’être pêchée ou bien l’eau de coco fraîchement récoltée ? Le supplice est cruel, la punition inique. Je me sens comme Job d’avoir perdu le mien.
Entre l’espoir et le faux mage qui m’a prédit la lune contre mes derniers sous, il ne me reste rien que l’envie, la jalousie, la colère d’être empêché par les filets de la réalité. Je me sens me noyer, incapable de nager. je suis la tortue arrachée des eaux libres qui croupit dans un bassin dont on ne s’évade pas.
Bien sûr, j’ai tenté en rentrant de recréer ce monde. Magasins exotiques aux denrées des tropiques, alcools des antipodes, rien n’a pour moi ici les parfum de là-bas. Je suis veuf de cette île qui m’a donné la vie et qui me l’a ôtée dès que j’en suis parti. Mon deuil est impossible, je sombre dans un abîme où rôde la folie.
À quoi sert de lutter ?
À quoi bon la survie ?

Armand
Menu du tirage au sort
Même Céline se lécherait les babines
Les foies braisés de Madame de La Fayette
Mousse d’espoirs
Domaine du pin

Encore et toujours nous nous disputâmes, comme a l’accoutumé, la raison était bien insignifiante, une querelle d’amoureux. Céline avait la fâcheuse tendance à se lécher les babines avec délectation après nos disputes et bien entendu aux vues de tout le monde, dans la rue.
Cette fois-ci nous étions rue Lafayette, on arpentait le bitume sous une légère bruine, et finalement je remercie le ciel car il n’y avait pas grand monde pour entendre les deux énergumènes que nous étions se bouffer le foie.
Comme toujours, la tension finie par retomber et l’espoir  renaît.
Je l’attrapais par les mains, il y avait un petit troquet ouvert à l’angle de la rue ; « je commande deux mousses », discussion virulente et impromptue  sur notre quotidien. On tombe d’accord, « tu es prête, je suis prêt », nous voilâmes sur la route direction le Domaine du pin, petite propriété viticole, tenu par Monsieur et Madame Pin, charmant couple au demeurant.
Leur vin dénote, sa robe y est soyeuse, son odeur volatile et douce, la rudesse de son goût attire toujours nos lèvres et quelque part nos corps, ce vin vous réconcilie avec la vie et l’amour, mais n’était-ce pas finalement ce que nous recherchions ? 

Catherine
La liste, le lieu
Près de l’eau
Près d’un bateau
Pas loin, des manchots
Douceur de l’été
Rochers ronds en granit aux alentours
Grosses vagues, océan
Nuit australe
Baraque en bois
Mobilier en zinc
Vieille cuisinière à bois
Four ultramoderne à vapeur
Couteaux japonais
Stop

6 vers pour une cuisine
Dès le matin elle porte bûches blondes et sarments noirs
Au feu crépitant au métal chauffé à blanc
Elle attend rêveuse la lente montée des recettes
Soudain elle saisit pot en terre grande cuillère et lame fine
Elle épluche là un ail rose ici une carotte
Valse des odeurs mazurka enivrante ça cuit
Le nom
Casa Lola

Menu
Même Céline se lécherait les babines
Les foies braisées de Mme de Lafayette
Fraises et encriers
Tord boyau
Menu tirage
Piaf en salade
Mijoté de rouge et noir
Fraises et encriers
Domaine de Lalcolle

Casa Lola
- Qu’est-il devenu ?, demanda-t-elle. Ses yeux bleus floutés par quelques verres de rosés lui rappelèrent furtivement son sud austral.
- Il est rentré au pays, murmura-t-il faiblement.
- Tu plaisantes ! Non ! En Patagonie ?
Ses yeux s’affolaient maintenant, mesurant la distance. Ça ne collait plus, il n’avait pas pu. Trop facile, se dit-il, en portant son verre du Domaine de Lalcolle à sa bouche, il s’est taillé et il m’a laissé là, face à elle. Dégueulasse ce pinard, quel nom à la con, on n’a pas idée. Le Domaine de l'alcôve, encore, je dis pas ! Il était prêt à toutes les pensées bêtes, plutôt qu’affronter son regard perdu, le pli amer de ses lèvres. Vite trouver le nom d’un fruit représentatif pour ce cépage doucereux, non, trop infect et ce serveur qui n’arrive pas.
- C’est à cause de moi ? Hein ! Salaud ! Pas capable de pardonner.
Elle hurlait. Dans la salle les têtes se baissaient, les oreilles se régalaient, les yeux partaient en biais, ses longs cheveux fouettaient l’air. Le serveur tanguait sur ses pieds hésitant à s’approcher trop près, trop vite. Pauvre tanguero perdu avec ses assiettes à la main. Puis, il osa s’approcher et nous annonça d’une voix mal assuré : “ Piaf en Salade”. C’est exactement à ce moment là, entre absurde et détresse que j’explosais d’un rire aussi tonitruant que nerveux. Vexée, elle se leva et prétexta une envie de cigarette pour me laisser larmoyant devant mon piaf trop cuit, perdu dans une assiette trop grande, pataugeant dans une sauce blonde qui sentait l’ail. Je triais méthodiquement la forêt vierge de salade qui entourait l’animal en hoquetant comme un môme au cœur plein de chagrin.
À son retour, les yeux et le nez rouges, elle renvoya son piaf sans y toucher.
- Fait froid, crâna-t-elle.
- Infect ce restau. On pourrait s’arrêter là et partir s’enivrer ailleurs, on roulerait sous la table et on oublierait tout.
- On n’a plus 20 ans mon cher… Oh, jeune homme, veuillez m’excuser j’ai bien failli provoquer une catastrophe avec ma crinière.
Elle avait retrouvé son sourire et planquait son nez d’une main gracieuse. Je la retrouvais, superbe, fière.
- Mijoté de rouge et noir, déclama le serveur rassuré et rosissant. 
Je respirais profondément afin de bloquer tout fou rire intempestif.
- Toute une histoire, minauda-t-elle en caressant le serveur du regard.
- Ah oui, laquelle ?, pouffais-je au bord d’une nouvelle explosion.
- La nôtre bien sûr. Tu vois ce morceau de thon sur cette galette blanche flottant sur cette soupe sombre, c’est moi et cette trace de vinaigre noir et visqueux, là, qui semble vouloir s’échapper de l’assiette, c’est lui. Je n’ai rien vu venir, tu tu rends compte…
Ses yeux à nouveau se grisaient de violence, vite, sortir la dérive.
- J’ai toujours détesté Stendhal. Sans déconner, on se barre, c’est trop prétentieux ici et même pas bon.
- Quel temps fait-il en Patagonie en ce moment ?
- Froid, pluie et vent, un cocktail ignoble que seuls quelques européens au bout du rouleau et de la fuite ont réussi à supporter. Il y avaient bien quelques natifs aux mœurs intéressantes mais tu connais les blancs, ils les ont tous tués.
J’étais vraiment près à dire n’importe quoi pour la détourner de lui et j’y réussissais bien, Quel con !
- Tu m’accompagnerais ? Je te paye le billet.
L’uppercut m’arriva direct au foie. À mon tour de m’accrocher avec le temps, de ne plus suivre son cours, de virevolter, abasourdi, palpitant, mi inquiet mi timide.
- Retourner là-bas ? Avec toi ?… le retrouver, lui ?
- Je ne plaisante pas, tu le sais, je ne plaisante jamais. Garçon j’espère que le dessert sera plus réussi.
Je n’entendais plus rien, je confiturais, me noyais, m'éparpillais. Mon cœur s’ouvrait, se refermait. Une lueur, un trou noir et parfois ça s’ouvrait, j’imaginais ça possible. Retourner là-bas, 30 ans plus tard. Retrouver la plage aux manchots ; manger des fraises à l’encre selon la recette invraisemblable de tante Natacha, une russe mi esquimaude qui se régalait du climat et savait mélanger myrtilles et encre de seiche en un velouté délicieux qui me laissait les joues barbouillées de rouge et noir. Je me voyais remonter l’avenida Bolivar jusqu’à la Casa Lola et pousser la porte. Peut-être me reconnaîtrait-elle ?  




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