Le sac de Michèle



Chap1.
En sortant ce matin là, mon sac se mit à battre de l’aile. Je l’avais couvé, dorlotté, préparé aux voyages, aux grandes découvertes. Il était fin prêt je crois. J’avais fait de mon mieux.
Je l’avais recueilli gisant dans la rue, les bandoulières tailladées, le tissu imprégné de salissures. Le petit cri plaintif qu’il avait poussé m’avait fendu le coeur. Il était prêt à en finir, à s’engloutir dans le caniveau juste à côté de lui.
J’étais fier de l’avoir ramené à l’envie de voyages. Pendant plusieurs jours, il avait refusé de se laisser faire, croyant peut être que mon dessein ultime était d’en tirer bon prix sur le BonCoin.
Il faut dire, j’avais fait l’erreur de lui présenter mes autres sacs, bien rangés, au chaud, dans l’armoire à voyage. Il s’était cru de trop, ou bien voué à l’esclavage.
Grand dieu, il apprendrait bientôt, comme moi, que l’esclave, ce serait moi.
Ce matin là donc, en claquant la porte qui donne sur la ruelle de chez moi, mon sac vissé sur mon dos, mon petit dernier, s’était senti pousser des ailes. Et moi, j’avais comme l’impression que mes pieds perdaient le sol.

Chap2.
Le chapeau perdit la tête. C’était trois jours plus tard, après le train jusqu’à Marseille puis le bateau jusqu’a Gênes. De cette ville, placée au creux d’un golfe, J’avais entrepris de continuer mon périple à vélo. Mon sac, pour sa première sortie devait expérimenter un maximum de modes de déplacement. En dévalant la première pente, à déjà quelques dix kilomètres de Gênes, mon chapeau s’était envolé. J’avais refusé de m’arrêter. Hurlante de bonheur, dans cette course effrénée, à peine avais-je tourné la tête pour un dernier regard.  Il avait atterri en équilibre sur le bord du trottoir. Je me mis à rêver d’une belle âme charitable qui viendrait lui offrir une seconde vie. Tout comme moi pour mon sac chéri. Il faut dire que nous nous entendions à merveille. Collé à mon dos, comme une tendre amoureuse sur le scooter d’un gominé.
Le cheval prit le relais ensuite, traversant la Toscane jusqu’à Sienne, la cité marbrée. La joie était totale. Cerise sur le gâteau, cette ville nous attendait comme une première halte, un premier bilan de voyageurs étourdis.
Deux jours plus tard, étourdie je le fus, pour de bon, lorsque mon regard croisa les yeux enchanteurs de Mouloud. Le sac comprit, en jetant un oeil par dessus mon épaule que l’affaire était sérieuse.

Chap 3.
Le vide s’épaissit. Lui et moi, à quelques mètres de distance, ne formions plus qu’une seule et unique chose.
La matière formée par mon corps, l’air, mélange d’azote et d’oxygène puis son corps à lui.  Tout était dense et compact, sans un seul millimètre de vide qui puisse nous dire “hors de contact”.
C’était un peu comme si, je le répète, à quelques mètres de distance, nous étions déjà serrés très fort, l’un contre l’autre. Déjà comme si nos vêtements, les uns contre les autres vaporisaient la transpiration qui perlait sur nos nuques.
Comme si nos jambes emmélées jouaient une partie de tango velouté. Hum. Tout cela, à quelques mètres de distance.
Pour la première fois, je sentis le sac me peser. Non pas que j’étais fatigué, non. Disons plutôt qu’à ce moment-là, la nature me ramena, d’un seul coup d’un seul, à ma libido d’origine.
Il s’agit-là d’un tout autre frisson que la passion d’un sac. Frisson contre lequel on ne peut aller.
Une fois le sac à terre, j’aurais pu dire, allez envole-toi pour de bon.
Il me regardait, implorant, comme le chien trop gâté d’une maîtresse frivole.
Jamais je ne me sentis coupable et je me dis, si sûre de moi, “Yeah men ! I want that guy, and nothing else !!”.

Epilogue
De Mouloud et moi, vous ne saurez rien de plus, aujourd’hui. Une autre fois peut être.
Il s’avança enfin vers moi, parvint à ma hauteur. Machinalement ôta son sac à dos qu’il déposa à terre.
L’instant plus tard, après l’étreinte promise nous baissâmes la tête. Nos sacs avaient disparus, détournés du chemin, eux aussi, par l’âme soeur enfin reconnue.
Pour eux, pour Mouloud et pour moi même, le soleil se coucha, gourmand de la nuit à venir.   

Yves

Commentaires

Anonyme a dit…
"Collé à mon dos, comme une tendre amoureuse sur le scooter d’un gominé."
Voilà qui décoiffe. je suis jaloux à en manger mon chapeau
Alfred

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