Couleurs 1 - Les nuages roses
1
Je n’aimerais pas vivre ivre mais parfois si
Je n’aimerais pas vivre aux Philippines mais parfois si
Je n’aimerais pas vivre malade mais parfois si
Je n’aimerais pas vivre en sanscrit mais parfois si
J’aimerais vivre mais parfois non
Je n’aimerais pas vivre là mais parfois sol
Je n’aimerais pas vivre la mais parfois si
Je n’aimerais pas vivre do mais parfois si
Je n’aimerais pas vivre l’hiver mais parfois si
J’aimerais vivre longtemps mais parfois non
Je n’aimerais pas vivre dans la maison de ma mère mais parfois non
Je n’aimerais pas vivre hêtre mais parfois chêne
Je n’aimerais pas vivre couteau mais parfois scie
Je n’aimerais pas vivre marteau mais parfois sage
Je n’aimerais pas vivre zag mais parfois zig
Je n’aimerais pas vivre ivre mais parfois si
J’aimerais vivre tendre mais parfois non
J’aimerais vivre
Je n’aimerais pas vivre ici mais parfois si
Je n’aimerais pas vivre crêpe mais parfois si
Je n’aimerais pas vivre cette liste longtemps mais parfois si
2
Bleu
Sur sa robe, il coule en cascade jusqu’à ses hanches
Blanc
780 km, sur la steppe blanche, ses chiens aboyants et fringuants n’avaient que faire de sa peine
Vert
J’étais à l’intérieur d’un poivron géant. Une lumière perçait à travers la chair aqueuse, sortir était devenu dangereux. Ce poivron humide semblait m’avoir adoptée, c’était une chance
Orange
Il appuya sur la peau d’une mandarine. Un jet d’agrume frais chargea l’air de la chambre. La grisaille s’était levé mais ils restaient couchés, souriants à leur bonne fortune
Rouge
Opéra, siège de théâtre, passion, toro, cape, capeline, rose,, elle dodelina la tête avant de partir rejoindre ses rêves de gloire
Jaune
Indes, 6h30 du matin, Benares, le fleuve s’éclaire lentement, au loin des litanies montent des temples, une enfant me sourit, ses yeux encore dans le rêve de la nuit, la journée s’annonce calme, je me sens bien
Violet
Quand elle déposa le panier de myrtilles sur la table, 20 petites mains plongèrent sans retenue. Bientôt, joues, bouches, doigts, mains et pantalons s’ornèrent de vivent teints. Alors elle rassembla son monde et descendit à la rivière
Noir
Comme un drame dans le soir, il s’écroule ivre de bière et de Jazz
Rose
La barbe à Papa lui collait au menton. Sa mère la pressait de courir vers le métro mais elle ne bougeait pas fasciée par ce nuage de sucre qui lui couvrait la vue. La neige alentour ajoutait à la féerie et sa mère pouvait bien gueuler, elle était statue de reine.
3
Je n’aimerais pas vivre ici plus longtemps… mais si je reste à regarder ce papier peint assez longtemps, j’oublie ennui et monotonie. En suivant les arabesques violets du mur face à l'alcôve, je me souviens de lui appuyant sur la peau d’une mandarine. Un jet d'agrume frais chargeait l’air de la chambre et nous restions couchés souriant à notre bonne fortune. Dehors, la steppe éclairée par la lune était givrée, les chiens aboyaient.
Je peux bien bailler aux corneilles, personne ne s’inquiète de ma peine tandis je grandis frêle et discrète à l’ombre du donjon. C’est à n’y rien comprendre, je suis la fille du maître et nul ne semble me voir. J’ai 11 ans et il est temps de me faire remarquer. Le mois dernier un plan simple s’est glissé en catimini dans mon esprit. Le Maure qu’hébergeait mon père m’a enseigné un truc fou. À l’aide d’un sirop rose et de petits grains translucides, il sait fabriquer des nuages roses immenses et savoureux. Voilà, c’est décidé, pour fêter l’Épiphanie, je fabriquerai le plus grand des nuages roses et je lui offrirai, oui, nous le dégusterons ensemble, il me prendra sur ses genoux, il me caressera les cheveux et il me dira à l’oreille combien il m’aime. La barbe à Papa se collera à mon nuage rose. Ma chère mère me pressera de déguerpir mais je ne bougerai pas. Nous resterons fascinés par ce nuage de sucre qui nous bouchera la vue. La neige alentour ajoutera à la féérie et mère pourra bien crier, nous ne bougerons pas.
Ce jour-là, l’espace d’une épiphanie, je bâtirai la certitude de l’amour de mon père et ça me restera ma vie entière. Je suis prête, ma solitude est douce mais où donc ai-je mis la recette du Maure ? Dans mon carnet mauve caché derrière la bibliothèque rose ? Sur cette feuille volante où l’encre noire a coulé sur le vers final ? Le Maure était poète et “Mille alchimies ne peuvent être que blanche ou rouge”, me répétait-il. Le jour où il était parti, son regard avait pétillé quand il m’avait regardé une dernière fois, “Blanche tourterelle, quand tu seras triste, souviens-toi de mes nuages roses et le ciel te paraîtra bleu”, je sais maintenant qu’il a raison.
Commentaires