Atlas 3



Une histoire racontée à l'oral ponctue chaque mini-chapitre

1
Elle était épuisée. Ses yeux rougis de fatigue, quittèrent la carte d’état-major qu’elle avait sortie pour retrouver sa trace. Ses vagabondages sur les routes et chemins de ce land perdu au nord de l’Allemagne l’avait glacée jusqu’aux os. En retrouvant l’usage de la marche, elle redonna un peu de vie à sa carcasse courbée. Elle salua la statue d’Éléonore d’Aquitaine en sortant de la bibliothèque.
2
Elle se dirigea comme une automate vers le pub. Reviendrait-il ? Entier ? Joyeux comme avant ? Elle aimait y croire mais elle avait aussi appris à se taire, à devenir souris grise, rate de bibliothèque transparente et solitaire, buveuse nocturne d’une Ale ou deux. Seules, les contemplations des cartes géographiques et historiques lui permettaient d’ouvrir à nouveau les vannes de son imagination qui reprenait quelques couleurs : verte pour les forêts ; bleu pour les mers et fleuves qui se joignent.
3
Hier, elle s’était embarquée pour Madrid. Elle avait suivi du doigt la route du sud, celle qu’ils avaient suivi ensemble il y a 7 ans pour rallier Séville. Elle avait retrouvé l’odeur des cuisines à l’ail, la chaleur des pierres, la fraîcheur des fontaines. Elle s’était arrêtée longtemps sur Guadalajara. Ah la la, elle avait souri, même rougi aux souvenirs de leurs ébats. Ses vertèbres s’étaient relâchées. Ce jour-là, elle avait oublié de saluer Éléonore, oublié le pub pour courir jusqu’au bus.
4
Aujourd’hui, accoudée au pub, elle observe ce soldat qui semble attendre près de la vitre. Son manteau posé sur ses jambes, cache mal sa jambe blessée. Ils doivent avoir le même âge. Si cet homme n’avait pas l’air de tant souffrir, elle oserait l’aborder et l’inonder de questions sur les possibles, les croisements, jusqu’à lui. Elle aurait imaginé mille détails et l’espace de ses yeux se serait éclairé, l’homme aurait fini par décrocher un sourire.
5
Le lendemain en arrivant à la bibliothèque, un soleil indécent appelait toutes les libertés comme celle de boycotter ses atlas et ses chemins de chimères pour partir vagabonder jusqu’au parc à la sortie de la ville. Depuis la plateforme du bus 27, elle suivait l’envol des avions. Vers l’ouest, aucun intérêt, il n’est pas là-bas, un autre quitte la terre vers le sud, vers lui, pense-t-il à elle ? La guerre était terminée depuis quatre ans et aucune nouvelle. Autour d’elle, on s’inquiétait pour sa santé mentale alors elle les fuyait en inventant en permanence mille occupations.
6
En arrivant au parc des Falaises, elle se dirigea vers la zone interdite, un lieu maudit depuis des siècles. On raconte encore aujourd’hui la première malédiction quand la terre s’est ouverte pour laisser la mer envahir l’ancienne ville. Depuis, les hommes lui tournent le dos et la laisse gronder en bas des falaises. Elle était prête, elle irait la voir, elle se sentait aimantée et elle serait enfin folle aux yeux de tous. Elle avance, riant aux éclats, ignorant les mains qui tentent de la retenir, la foule qui menace, elle avance tendue vers son but, rien ne pourra l’arrêter.
7
Quand elle déboucha devant l’immensité bleue, elle s’aperçut que les falaises n’étaient qu’une pente brutale où des échelles de bois et de cordes pendaient ça et là. D’autres hommes avaient franchi l’interdit ou bien étaient-ils arrivés par bateau. Elle descendit facilement mais rendue sur la grève sablonneuse et piquée e rochers, elle n’aperçut rien ni personne. Seules les vaguelettes clapotaient. Elle marcha longtemps, très lentement, les yeux aux aguets, puis de plus en plus absents puis résignés, il n’y avait rien. Quand elle crut apercevoir au loin une ombre sombre cachée derrière un rocher, elle hésita à s’animer mais sa morosité coutumière eut le dessus. Elle s’arrêta.
8
Pourquoi déranger cet homme ? Elle avait essayer de l’appeler, de courir vers cette ombre de plus en plus nette qui s’enfuyait dès qu’elle s’approchait. Il avait choisi ce lieu isolé, il devait avoir de bonnes raisons de la fuir. Pourquoi chercher à le rencontrer ? Quand elle retourna vers les échelles, elle les trouva enroulées à quelques mètres du sol, impossible de remonter. Faite comme un rat loin de sa bibliothèque, si le jeu de mot l’amusa, elle sentit en même temps monter la peur. Où se cachait-il maintenant ?
9
L’homme tapit derrière les rochers la regardait s’affoler, tourner comme une toupie laissant ses cheveux longs claquer sur ses épaules, il observait ses mains qui s’envolaient vers le ciel, elle ressemblait une chamane invoquant la déesse-mère. Il la buvait des yeux, la salivait d’avance, il reculait le moment où il sortirait de l’ombre où il apparaîtrait à contre-jour où elle ne le reconnaîtrait peut-être pas. 

Catherine

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