Sacré Charlemagne


Qui a eu cette idée folle, un jour, d'inventer l'école ? 



16 septembre 1966, l’été finit en beauté. Nos blouses bigarrées éclatent sous le soleil et annoncent la couleur : chacune son modèle mais obligatoire pour toutes. Les cartables sentent le neuf sauf pour ceux qui ont hérité d’un aîné. En cuir ou en carton bouilli, simple ou à double soufflets, ils devront durer longtemps. 

La grande école est moderne, fini les vieilles colonnes peintes en jaune, les escaliers en bois et les grands marronniers. Ici tout est carré, carrelé, bitumé. Seule une vigne vierge qui court sur la grille nous séparant des garçons et quatre arbres maigrichons, offrent une note de vert dans cet océan de gris et de beige clair. 

Nous, les petites nouvelles, nous observons et écoutons, figées. En rang par deux, une maîtresse en chef de file, madame la directrice annonce les nouvelles règles. C’est simple : travail, discipline, valeurs républicaines, salut à madame la directrice à la sortie des classes et debout quand elle entre dans la classe encore toute auréolée de vapeur de cigarettes et de Chanel n°5. 

Notre maîtresse a l’air vieille avec son chignon poivre et sel, ses lunettes et sa blouse grise. Elle porte un drôle de nom qui sent déjà la faute d’orthographe. Madame Lefé n’a pourtant rien d’une fée mais elle nous promet que nous saurons lire et écrire en fin d’année. 

C’est parti, distribution du livre de lecture qui devra être soigneusement recouvert et entretenu. Chaque jour à 8h30 la leçon commence, une page après l’autre, p+a = pa. Examiner l’image, trouver le son, écouter la lecture de la maîtresse en suivant avec son doigt. Puis reconnaître la lettre, la tracer sur le cahier d’écriture où une lettre parfaite en début de ligne attend nos essais. Malheur, l’encrier est à droite et ma main gauche tremble. Les gouttes tombent en plein milieu de la feuille et voilà, soin zéro. Ça commence mal surtout qu’il est fortement conseillé à ma mère d’encourager la “bonne main”. Au mois de janvier, affolées par mes insomnies, mon caractère ombrageux et les tics qui s’installent, elles renonceront d’un commun accord. Ouf j’ai gagné, je serais la première dans cette famille de gaucher à être autorisée à écrire avec la main maudite. Un honneur ! 

L’apprentissage continue, après la récréation de 10h, quart d’heure compétition autour du calcul mental. À nos ardoises, craies en main, combien font 5+7 ? La plus rapide a gagnée. La fin de matinée est plus tranquille : poésie, histoire et géographie offrent un peu d’évasion. Vivement la récré. 

Si les cordes à sauter sont interdites et réservées aux cours de gymnastique du début d’après-midi, les élastiques sont autorisés. Au niveau des chevilles, c’est facile. Aux cuisses, ça se complique ; à la taille, les plus grandes crânent ; à la poitrine, seules les plus athlétiques continuent leurs variations sous l’œil envieux ou furieux des renonçantes. C’est le moment d’aller rêvasser plus loin et d’épier les garçons qui ont droit au ballon. C’est pas juste, mais eux, ils ne savent même pas dessiner une marelle ! Après chaque pluie, sur la cour grise et nettoyée, nous nous disputons les emplacements où ça glisse bien. Certaines tracent à la-vite une marelle en croix de guingois, d’autres calculent la courbure de l’escargot, la taille des cases et enjolivent le dessin de beaux chiffres romains, écrivent le ciel et la terre en lettres capitales. Seul l’enfer n’est pas nommé mais bien signalé. Plus concentrées que des joueurs de pétanque, nous lançons notre boite à bonbon en ferraille remplie de craies et de cailloux savamment choisis pour l’alourdir, obtenir un joli son et le bon glissement qui nous mènera au 7ème ciel.

Après l’école, nous retrouvons les garçons au jardin en bas de la rue. Là ça court, ça joue à cache-cache, au chat perché, ça se chamaille ou s’ignore. Et puis, il y a le kiosque à bonbon et la traque aux sous qui s’échappent des poches à l’italienne des messieurs qui se lèvent des bancs et des fauteuils en fer. Plus rapides que des écureuils, nous ramassons centimes ou francs et courons reconvertir notre butin en mini-bonbon à 1 centime pièce, le bonheur existe.

Commentaires

Yves a dit…
La suite ! La suite !!!

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