Soir d'automne




C'était un soir d'automne, de fin d'automne. La nuit tombée, le froid se faisait vif, porté par un petit vent du nord qui pinçait le nez et les oreilles rien que le temps d'aller chercher trois bûches pour veiller à la flamme près de la cheminée. Les volets étaient clos, gardant un peu de la maigre chaleur pour Maurice regardait pensivement les flammes qui dansaient devant ses yeux, les mains croisées entre ses genoux, savourant le dernier carré de chocolat noir qui avait clos son repas. Sa casquette, qui ne le quittait que rarement, était relevée sur son front, signe que la journée de travail était terminée. Germaine après avoir lavé les quelques ustensiles du repas s'était assise à coté de Maurice sur ce vieux banc de bois qui faisait face au foyer.
Chaque année, dès l'arrivée des mauvais jours, ils faisaient de cet instant partagé en silence un passage obligé, sorte de rituel avant de se coucher. Comme s'ils déroulaient le film de la journée écoulée, ses faits marquants puis les tâches du lendemain, tout cela sans échanger la moindre parole, sans bouger un cil, quelquefois simplement décroiser les mains puis les recroiser, perdus dans leurs pensées. Seul le regain d'éclairage du à quelques flammèches donnait un peu de vie à leurs visages.
Maurice sembla soudain sortir de sa torpeur. Au travers du crépitement du feu, son ouïe fine avait saisi un bruit inhabituel. Fronçant ses épais sourcils et redressant sa tête, il concentra son attention, attirant ainsi celle de Germaine qui ne comprenait pas ce qui se passait. Il faut dire que Germaine, avec l'âge, commençait à perdre de son acuité auditive.

Maurice posa ses deux mains sur ses cuisses comme pour se relever quand il entendit à nouveau le même bruit, ténu mais chuintant comme le frottement d'une bête qui se gratte contre un mur. Il allait se décider à se lever lorsque deux coups secs mais puissants furent frappés à la porte.
Germaine regarda Maurice de ses grands yeux étonnés avec une lueur de crainte. Qui pouvait frapper à cette heure, à cette saison ? Il y avait bien longtemps que personne ne leur avait rendu visite le soir. Quelques voisins, quelques dimanches de temps à autre, à l'époque des champignons ou aux premiers jours du printemps quand il fait bon humer l'air frais et prendre la lumière, mais à cette saison, jamais de visite. Deux coups secs et puissants résonnèrent à nouveau. Maurice ne bougea pas, Germaine se rapprocha de lui, intriguée, un peu inquiète et posa sa main sur son épaule. Machinalement, le regard de Maurice fit le tour de la pièce et se posa sur son fusil de chasse au dessus de la porte de la chambre. Il se rappela immédiatement que sa cartouchière n'était pas avec le fusil mais accrochée avec sa besace dans le placard du vestibule, ce qui compliquait un éventuel recours à ce moyen de défense.
A nouveau deux coups, plus serrés sembla-t-il à Maurice. Il se décida : d'une voix claire et forte, il demanda : « Qui est là ? ».
Un temps qui sembla une éternité à Germaine s'écoula.
Maurice repris plus fort : « Qui est-ce ? ».
Aucune réponse, aucun bruit. Maurice tendit à nouveau l'oreille : il lui avait semblé entendre le même frottement que tout à l'heure, celui qui avait attiré son attention. Il se décida, se leva et s'approcha le plus doucement et discrètement qu'il put de la porte d'entrée, attentif et concentré pour tâcher de percevoir quelque parole, bruit ou respiration qui le rassurerait. Mais rien.
Il lui sembla cependant que quelque chose n'était pas normal dans cette entrée. Tout à coup il compris : il faisait doux, presque chaud ! En ayant quitté la cheminée, il n'avait pas tout de suite prêté attention mais maintenant, il s'en rendait parfaitement compte : il faisait chaud dans l'entrée alors que d'habitude, dans ces conditions, c'était un des endroits les plus froids de la maison.
Délicatement il posa sa main sur la porte d'entrée en chêne massif : elle était chaude, d'une douce chaleur, mais bien chaude. Il toucha la poignée en prenant garde de ne pas la manœuvrer : elle aussi était chaude, plus chaude encore que la porte mais Maurice pensa que c'était du au métal.
Écoutant à nouveau très attentivement, il n'entendit aucun bruit à l'extérieur. Très intrigué, il alla chercher Germaine qui était restée quasi prostrée près de la cheminée. Il lui murmura à l'oreille ce qu'il avait ressenti. Germaine s'approcha à son tour et sentit elle aussi la douce chaleur. Ils se regardèrent, s'interrogèrent mutuellement du regard sans apporter de réponse, trahissant plus une incompréhension qu'une inquiétude.

Maurice se décida, il alla décrocher son fusil, récupéra sa cartouchière, glissa une cartouche de petits plombs et une de chevrotine dans les canons et enclencha l'arme. Il alluma la lumière extérieure.Aucun bruit. Il attendit un peu, l'oreille aux aguets. Toujours rien. Il fit signe à Germaine de lui ouvrir la porte, lui, braquant son fusil, paré à toute éventualité.
Germaine ouvrit doucement la porte. Rien. Personne. Elle ouvrit plus grand, Maurice s'avança, prudemment : rien, ni devant,  ni à droite, ni à gauche. La lumière qui éclairait la cour de gravier de calcaire blanc crémeux ne révéla aucune présence. Le vent du nord était vif. Une demi-lune se dévoila au passage d'un nuage poussé par le vent. Rien.
Maurice se détendit un peu, relâcha ses épaules, abaissa son fusil. Il se demanda s'il n'avait pas rêvé, si son imagination ne lui avait pas joué un tour. Il scruta à nouveau l'obscurité au delà de la zone d'éclairage, devant, à droite, à gauche. Rien. Personne.
Il s'apprêtait à rentrer quand il repensa à la chaleur de la porte. Il se baissa et posa sa main sur l'unique marche du perron : elle était chaude,sans plus, mais chaude, au moins autant que la porte.Il rentra, ferma la porte, éteignit la lumière extérieure et attendit un instant. Rien. A peine entendait-il le bruit du vent. Il posa sa main sur la porte : elle s'était manifestement refroidie.
Il accrocha son fusil, après avoir soigneusement enlevé les cartouches mais laissa la cartouchière à coté. Il vint se rasseoir sur le banc où Germaine l'avait précédé. Ils restèrent pensifs, n'arrivant pas à mettre une explication logique sur ce qu'ils venaient de vivre.
Maurice rompit le silence le premier :
« On n'a quand même pas rêvé, que Diable ! »
Germaine, qui regardait les braises, se retourna lentement vers lui, les yeux grands ouverts d'étonnement et d'incrédulité.

Claude Thuau
14/11/2013





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