Quand les arbres murmurent


Jeune prétentieux plein d’espoir

J’ai une allure malingre, un peu tordue mais je suis jeune et plein de sève. De grands ancêtres veillent à ma croissance et l’environnement peu propice à la balade me protègent des humains et des amoureux trop prompts à graver leurs noms sur ma peau aux nuances blanchâtres. J’aime beaucoup la finesse de mon grain et quelques auréoles brunes ne font qu’ajouter à mon élégance. Comme vous pouvez le remarquer, je m’aime.

Je vous parlerais bien de ma frondaison mais j’ai la mémoire courte et en ce mois d’hiver, je suis encore chauve comme un poupon. Seules mes ramures sont autant de doigts de pianiste lancés vers le ciel comme une invite à une symphonie sylvestre. Car, voyez-vous, j’ai du vocabulaire et de la poésie à revendre grâce à un vieux chêne voisin qui n’a de cesse de m’instruire. Fort de ses 250 ans, il se fait un devoir de partager son savoir mais je l'écoute peu.

Jamais je ne vivrais aussi longtemps, je serais transformé en meuble pour coquette bien avant. J’imagine déjà son peigne d’argent sur ma planche centrale, celle débitée au plus près de mon cœur, là où ma cellulose s’alanguit. Elle me lissera du plat de la main en sortant du lit. Et qui sait ! Peut-être qu'un soir d’ivresse amoureuse, elle posera ses fesses sur mes nervures. Et là, je ne suis pas sûr de rester de bois. Mais je m’égare et j'adore ça.


Le soleil décline et me voilà ombre fantomatique, jeune pousse tremblant d’excitation. Le vieux chêne ricane à mes côtés. Il m’a raconté un jour s’être vu fier tonnier sur les mers déchaînées mais il ne fut jamais choisi. Un jour un bûcheron indélicat ou trop saoûl l’avait entaillé fort maladroitement. Depuis son tronc s’incurve bizarrement et lui donne une allure de sorcier peu avenant. Sa torsure me laisse de la place et je la prendrai. Ainsi un jour je parviendrai à la pleine lumière du soleil et laisserai éclore mes fleurs et mes fruits en mille couleurs éblouissantes.

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